Crise du Covid-19 : Vers un nouveau new deal ?
On sait que, au delà de la crise sanitaire qui frappe notre pays comme bon nombre de pays du monde, une grave crise économique et financière va durablement s’installer et frapper durement la plupart de nos entreprises.
Si l’Etat, qui a promptement réagi en mettant en place plusieurs mécanismes de soutien dont un système de prêt bancaire garanti, a considérablement augmenté ses taux d’endettement et de déficit budgétaire, il ne pourra certainement pas subvenir à l’ensemble des besoins et demandes qui vont se présenter à lui.
Le monde économique s’attend pourtant à une relance forte pilotée par le budget de l’Etat, une sorte de new deal à la Française qui permettrait aux investissements publics de booster l’activité des entreprises. On pense bien sur au domaine du bâtiment et des travaux publics mais aussi à bien d’autres dans les fournitures et les services, en mettant un accent sur les entreprises innovantes et start-up dont le dynamisme est indispensable tant sur le plan local, que national… et bien sûr européen.
La commande publique est bien évidemment en première ligne dans cette attente. Elle jouera sans nul doute, comme elle l’a déjà fait par le passé, un role essentiel dans cette relance. Mais cette dernière ne se fera pas sans la collaboration active des entreprises, sans lesquelles tout interventionnisme public serait limité.
L’ACHAT PUBLIC, CLE DE LA RELANCE?
C’est une constante depuis bien des années: la commande publique est un des leviers essentiels de la relance économique en cas de crise importante, comme en 2008 par exemple après la crise des subprimes. Il est vrai que les marchés publics et les concessions représentant chaque année 10% de notre PIB- 15 % pour la moyenne des Etats de l’Union Européenne-, leur impact economique, social et par la même politique est incontestable.
Elle va donc certainement être utilisée dans le cadre du-ou des- plan de relance que le gouvernement s’apprête à mettre en place. Cela nécessitera sans doute des choix politiques forts et assumés, notamment s’il est opté, à nouveau comme en 2008, pour une nouvelle élévation du seuil des procédures de non mise en concurrence. Si cela est le cas, quelques mois à peine après la mise en place du seuil de 40.000 euros, les critiques ne manqueront certainement pas de tomber en provenance des tenants d’une orthodoxie pure et dure de l’achat public et d’une application stricte de la jurisprudence européenne TELAUSTRIA et de son fameux degré de publicité préalable. D’autres y verront au contraire un geste frappant et courageux, permettant à la fois d’assouplir et d’alléger les procédures d’achat auprès d’opérateurs économiques ne pouvant perdre trop de temps dans un formalisme inadapté à la situation. Une telle mesure reposera sur un véritable pacte de confiance avec les acheteurs publics, qui devront utiliser cet éventuel nouveau seuil de manière raisonnable et raisonnée et en respectant les garde fous découlant tant des textes que de la jurisprudence.
D’autres voies seront sans doute empruntées, comme celle, dans la droite ligne de l’ordonnance 2020-319 du 20 mars dernier, modifiée par l’ordonnance 2020-460 du 22 avril, de l’élévation du pourcentage des avances, qui peut l’être pour le moment au delà de 60% du montant du marché. A nouveau, il ne s’agit en l’espèce, comme pour le seuil de non mise en concurrence sus évoqué, que de choix offerts aux acheteurs, qui n’ont bien sur pas l’obligation de les mettre en oeuvre. D’autres volets de l’ordonnance seront sans doute plus difficiles à pérenniser, comme ceux relatifs au prolongement des délais des procédures et contrats, ou ceux permettant aux acheteurs de ne pas pénaliser les retards pris par les titulaires des marchés dans le cadre de leur exécution.
En soi, la commande publique, même encore assouplie, ne suffira sans doute pas à elle seule à relancer l’économie. D’abord, cela nécessitera que les acheteurs bénéficient de moyens budgétaires suffisants, ce qui est loin d’être gagné vu la période financière qui s’annonce, qui se marquera notamment par de prévisibles et conséquentes diminution de recettes fiscales.
Ensuite, elle devra être couplée avec des aides publiques, avant tout dans le cadre de l’exécution des marchés publics et des concessions, ce qui est d’ailleurs déjà le cas sur le fondement des causes légitimes-en fonction évidemment de la rédaction des contrats-, de la force majeure ou de la théorie de l’imprévision. Rappelons à ce sujet, alors que certaines collectivités semblent frileuses sur ce point, que la commission européenne a provisoirement assoupli le droit des aides d’Etat via une communication 2020/C 91/01 du 20 mars 2020, tout en rappelant que les Etats membres pouvaient utiliser les dispositions existantes du TFUE – et notamment l’article 107§2 et 3- pour soutenir les entreprises en difficulté financière. C’est d’ailleurs ce qui a permis à la France d’obtenir l’adoubement de Bruxelles pour la mise en place du Fonds de solidarité à destination des entreprises et plus particulièrement des PME-TPE.
Enfin, les deniers publics ne pouvant pas solutionner à eux seuls une crise économique dont l’ampleur n’est pas encore bien identifiée, il faudra aussi compter sur le secteur privé pour appuyer et partager les efforts de relance.
UN NECESSAIRE PARTENARIAT PUBLIC-PRIVE
Dans le cadre du new deal à la Française- à l’Européenne?- dont il est ici fait état, il est plus que vital de ne pas abandonner les gros projets-et même tous les projets quelle que soit leur dimension- en cours. Ne pas abandonner, cela relève de l’évidence, les chantiers liés aux JO 2024, dont par exemple la construction de la piscine olympique prévue à St Denis; le réseau de transport public du Grand Paris Express et la construction des quelques 60 nouvelles gares associées; les chantiers de Grand Paris Aménagement et notamment les concessions d’aménagement dont l’établissement public est titulaire, concessions qui ont pour objet de revitaliser des quartiers entiers tant en termes de logement que de commerces et d’activités tertiaires. Il en est de même de projets comme ceux de Cités de gastronomie, dont celui, forcément emblématique, de Paris-Rungis… On pourrait multiplier les exemples, des centres aquatiques aux salles de spectacles en passant par les infrastructures routières et ferroviaires ou encore portuaires. Certes, la baisse attendue d’activité de l’exploitation de tout ou partie de ces équipements et infrastructures peut ne pas être très incitative…mais sans de tels projets, comment sans même la relancer soutenir l’économie et les entreprises des secteurs concernés? Bien évidemment, les projets en cause devront être calibrés et adaptés à l’évolution du contexte financier; la plupart d’entre eux devant être souscrits sous la forme de concessions, et donc d’externalisations auprès d’ opérateurs privés, une réflexion approfondie devra être menée au cas par cas en termes de répartition de charges et de risques entre les parties. L’histoire a en tout cas montré que les grands équipements et infrastructures, en période de relèvement économique ou non, ont été réalisés via des partenariats publics-privés, quelle que soit la dénomination qu’on leur donne, le poids non seulement financier mais aussi humain et technique des entreprises sachantes dans chaque domaine concerné étant prépondérant pour qu’ils voient le jour. Tout cela pour insister sur le fait qu’il ne faudra pas uniquement miser sur l’argent public et la force de frappe des marchés publics pour que la relance économique ne reste pas une fiction.
Il est en tout cas irréaliste que tout repose sur l’Etat et plus largement sur le secteur public et qu’un lien de dépendance trop fort et trop pérenne soit crée entre eux et un monde économique qui va devoir se relever, secteur du BTP en prime, de la façon la plus autonome possible. Il s’agit sans doute d’une approche que l’on pourrait qualifier de libérale mais il convient à nouveau de considérer les interventions publiques, et donc la commande publique, comme des leviers et non comme des solutions de substitution à long terme.
Les supports contractuels ou structurels de partenariat public- privé sont déjà assez riches, et mériteraient d’être encore développés à l’instar des SEMOP qui tardent à rencontrer un succès qui était pourtant attendu. Sans doute faudra t-il en inventer d’autres et faire preuve de davantage d’innovation dans un domaine où beaucoup reste à faire.
Jean Marc Peyrical
Avocat associé
Maitre de Conférences à l’Université Paris-Saclay, directeur de la Chaire Achat Public
President de l’APASP